Les Arts de la Rue en question

Le fait de se produire dehors plutôt que dedans est-il suffisant pour constituer en soi un genre artistique ? Non. Alors de quoi s'agit-il ? Avant tout, c'est un média, et cela en deux sens : un autre lieu de confrontation avec le public, un public plus large, plus varié, et aussi un secteur de diffusion qui offre de nouveaux circuits pour les productions artistiques.

Qu'y trouve-t-on de l'animation, de l'événementiel, du happening, du théâtre d'intervention, des arts plastiques, des spectacles joués en extérieur, du théâtre dans la rue, et parfois du théâtre de rue… Difficile de s'y repérer. Le plus souvent, on ne sait pas dans quelle discipline cataloguer les spectacles, car ils s'appuient sur diverses formes artistiques (arts plastiques, cirque, musique, chanson, danse, théâtre, conte, marionnette, machineries, pyrotechnie…). En fait, c'est logique, puisque tout est parti d'une volonté de rejeter les repères conventionnels, de transgresser les cloisonnements artistiques, de sortir des lieux traditionnels de représentation.

25 ans d'histoire

Si certaines formes de spectacle de rue sont la résurgence des formes festives, parodiques et grotesques, dont la plus connue est le carnaval, l'esprit initial se situe dans les années 75 : Bread and Puppet, Living Theater, Magic Circus… Puis les premières manifestations à créer une dynamique sont : à partir de 1973 "Aix ville ouverte aux saltimbanques" fondé par Jean Digne (par la suite directeur de l'AFAA), puis à partir de 1980 "la Falaise des fous" crée par Michel Crespin (créateur du festival d'Aurillac, puis directeur de Lieux Publics). Avec un message social, insolite ou festif, des troupes explorent cette voie ; il s'agit de Royal de Luxe, Générik Vapeur, Ilotopie, le théâtre de l'Unité, Délices Dada, Kumulus, Turbulence, Oposito, puis, dans les années 90, 26000 couverts, Cie Off, les Piétons, Hors Strate, Skénée, éclat immédiat et durable…

Ces compagnies ont des origines, des méthodes de travail, des moyens de production, des modes de vie différents, mais l'espace urbain et le public restent au cœur de leur démarche : s'y confronter, et réussir à communiquer, surprendre, interroger, bousculer, toucher. Leur point commun est aussi un esprit d'ouverture et de rencontre, aussi bien envers les publics, les disciplines artistiques, que dans le fonctionnement des compagnies. On y trouve le plus souvent une certaine convivialité, une recherche permanente, l'envie de développer de nouveaux langages, de se confronter à la rue, la cité, l'urbanisation, et à l'habitant, le citoyen, l'homme dans son milieu social. Il y a une volonté généreuse de parler, avec un langage fait d'emprunts et de métissages, à un large public.

Le lien entre les diverses pratiques est l'utilisation de l'espace public comme scène, l'invention de formes artistiques nouvelles (originalité des spectacles, du rapport public, des modes de production et de diffusion…). C'est en cela qu'on peut parler d'une spécificité de création des arts de la rue.

Aujourd'hui

Les arts de la rue ont acquis la dimension d'un phénomène social et culturel de grande ampleur, que la politique culturelle publique ne peut plus ignorer. Ils suscitent auprès du public un fort engouement : 1 français sur 2 a déjà assisté à un spectacle de rue, 18 millions en ont vu un en 2000, soit 28 % de la population, alors que le reste du spectacle vivant n'en touche que 7 %. On recense en France plus de 200 manifestations, environ 800 compagnies avec 2.000 spectacles diffusés chaque année, et une douzaine de lieux de fabrique. Il existe 2 organismes nationaux, Hors les murs, centre de ressources, et Lieux Publics, centre national des arts de la rue, et un groupe d'études parlementaire composé de 52 députés… Malgré un intérêt croissant de la part des pouvoirs publics, les arts de la rue restent en marge de la culture officiellement consacrée. Le Ministère leur consacre seulement 30 millions de francs, c'est à dire à peine le budget d'un CDN.

Les artistes ne disposant pas, ou très peu, de capitaux en amont pour financer les créations et le fonctionnement des compagnies (80% de leurs ressources sont assurées par leurs recettes propres), l'économie des arts de la rue est fondée sur la vente, et reste dominée par une logique de la demande. Celle-ci vient des festivals nationaux ou internationaux, de quelques établissements culturels, des municipalités ou structures socioculturelles pour des fêtes occasionnelles, et d'organisateurs d'animation privée. Face à une demande diversifiée, les compagnies tentent d'être présentes sur plusieurs front, celui de la création, mais aussi celui de l'animation, du social, voire du commercial. Il s'agit le plus souvent d'un choix contraint, faute de moyens institutionnels suffisant pour permettre une spécialisation de la création.

De plus, il y a un phénomène d'accumulation des spectacles, sans que soit vraiment posée entre les artistes et leurs partenaires la question de la qualité et des moyens donnés à l'élaboration des œuvres et d'un répertoire. Il ne faut pas oublier qu'il y a tout un travail d'action culturelle à faire, qui concerne tous ceux qui interviennent sur les projets, que ce soit sur l'écriture, la production, la réalisation, ou la diffusion.

Perspectives

Les arts de la rue tirent leur originalité des passerelles qu'ils ont su jeter puis exploiter entre différentes disciplines artistiques, différents publics, différents circuits de diffusion. Garder cette diversité tout en affirmant la validité d'une démarche artistique spécifique est un enjeu essentiel pour les arts de la rue.

Trois éléments apparaissent aujourd'hui décisifs pour leur développement.

Des moyens en amont : une partie des critiques artistiques adressées aux arts de la rue s'explique d'abord par le manque de moyens de création ; celui-ci limite les ambitions artistiques, et pousse les artistes à chercher une reconnaissance immédiate et des débouchés dans le divertissement, voire "l'animatoire".

Une action continue : il n'existe pas de réseaux de lieux de représentations permanents à coté de la saison estivale des festivals ; il ne peut donc y avoir ni action culturelle efficace, ni développement de débouchés pour les compagnies. Un élargissement des réseaux de diffusion permettrait d'aller à la rencontre de nouveaux publics, de défricher de nouveaux territoires, de délocaliser les actions culturelles. Cet élargissement peut se faire en direction des réseaux de l'action culturelle qui sont aujourd'hui dans une phase d'interrogation par rapport à leur action sur le territoire.

Les lieux de fabrication répondent simultanément à ces deux besoins en permettant à des artistes de disposer de moyens pour leurs créations et en favorisant la conduite de politiques culturelles durables. Les récentes mesures adoptées par le Ministère de la culture en faveur des lieux de création et des résidences de création vont en ce sens.

Sortir du ghetto : les arts de la rue se sont développés en marge des autres secteurs ; la structuration d'une profession et un début de reconnaissance institutionnelle s'accompagnent de l'essoufflement d'une forme qui se referme sur elle-même. Il s'agit de renouer avec l'esprit d'ouverture et le foisonnement originel. Or un nombre important de plasticiens, de danseurs, de gens de théâtre organisent de nouveaux modes de production et de relation au public, qui sont proches des préoccupations des artistes de rue. Des échanges sont donc possibles, mais encore faut-il pouvoir les rendre concrets. Là aussi, un lieu de fabrication favoriserait rencontres, recherches croisées, expérimentations communes.

Sources : "les Arts de la rue, portrait économique d'un secteur en pleine effervescence" d'E.Dapporto et D.Sagot-Duvauroux, édité par le Département des études et de la prospective, service du Ministère de la culture et de la communication.

Un lieu en Aquitaine

Face au développement des arts de la rue en France, la région Aquitaine fait figure de lanterne rouge, avec seulement 7 manifestations (contre 16 en Midi-pyrénées) et aucun lieu de fabrique. C'est pourquoi, nous défendons le projet d'un lieu en Aquitaine pour les arts de la rue et la création contemporaine.

Ce lieu de fabrique permettra d'abriter les créations des compagnies professionnelles, de répondre à des problèmes de stockage, de favoriser les rencontres, les échanges, la recherche et la formation. Il s'agit de mettre en contact des gens de disciplines et d'horizons différents, de leur proposer un vivier de réflexion, d'expérimentation et de création collective, de créer des relations entre les compagnies  , entre les artistes, entre eux et le public, entre les spectateurs, avec le quartier, par des débats, ateliers, stages, spectacles, expositions…

Contact :
Jean Marc (Ohé la Compagnie !) - ohe@free.fr